Valeur partagée et co-innovation

L’approche de la valeur partagée (ou Creating Shared Value) et la co-innovation sont deux leviers majeurs pour transformer la fonction Achats en moteur de croissance et de durabilité. En collaborant étroitement avec les fournisseurs, les entreprises peuvent non seulement optimiser leurs coûts et leurs processus, mais aussi développer des solutions innovantes qui génèrent de la valeur pour l’ensemble des parties prenantes : clients, collaborateurs, communautés locales et environnement. Dans cet article, nous allons découvrir ce que recouvre la notion de valeur partagée, en quoi la co-innovation constitue un catalyseur de performance et comment mettre en œuvre ces démarches dans le cadre d’une stratégie d’Achats Responsables.

1. Qu’est-ce que la valeur partagée ?

Le concept de valeur partagée (créé par Michael Porter et Mark Kramer) consiste à repenser le rôle de l’entreprise dans la société, en alignant ses objectifs économiques avec des bénéfices sociaux et environnementaux. Concrètement :

  1. Création de valeur économique : améliorer la compétitivité, innover sur les produits et services, réduire les coûts, optimiser les process.
  2. Création de valeur sociétale : contribuer au développement local, protéger l’environnement, garantir le bien-être des communautés, tout en répondant aux besoins des clients.

Contrairement à la philanthropie ou à la RSE « défensive », la valeur partagée implique de reconfigurer les activités de base (production, distribution, achats, etc.) pour générer simultanément des bénéfices financiers et sociétaux. La fonction Achats, en tant que lien clé entre l’entreprise et ses fournisseurs, joue un rôle déterminant pour faire émerger cette valeur partagée tout au long de la chaîne d’approvisionnement.

2. La co-innovation : un levier de compétitivité et de durabilité
2.1. Définition de la co-innovation

La co-innovation consiste à impliquer les fournisseurs, les clients et parfois d’autres partenaires (start-up, centres de recherche, ONG…) dans la conception et l’amélioration de produits, de services ou de processus. Elle se base sur une logique de collaboration, de partage d’informations et de créativité collective.

2.2. Pourquoi co-innover avec les fournisseurs ?
  1. Accélérer l’innovation : les fournisseurs, proches du terrain, disposent souvent d’une expertise technique et d’idées originales. En les associant très en amont, on peut réduire le time-to-market et développer des solutions différenciantes.
  2. Partager les risques et les investissements : le développement de nouveaux projets implique des coûts et des incertitudes. La co-innovation permet de mutualiser les ressources et de diversifier les sources d’expertise.
  3. Créer de la valeur additionnelle : en travaillant ensemble, il est possible de concevoir des produits ou des services qui répondent mieux aux besoins des clients finaux, tout en intégrant des critères de durabilité (éco-conception, économie circulaire, etc.).
  4. Renforcer la relation fournisseur : la co-innovation favorise un climat de confiance et de reconnaissance mutuelle, propice à des partenariats de long terme et à l’émergence d’autres projets.
3. Mettre en place une démarche de valeur partagée et de co-innovation dans les Achats
3.1. Identifier les opportunités
  1. Analyse des besoins internes : lister les projets stratégiques ou les défis opérationnels de l’entreprise (réduction de l’empreinte carbone, nouveaux matériaux, digitalisation, etc.).
  2. Cartographie du panel fournisseurs : repérer les fournisseurs clés, stratégiques ou innovants, qui disposent d’un fort potentiel technologique ou d’une expertise particulière.
  3. Évaluation des enjeux sociétaux : déterminer comment chaque projet peut générer un impact positif (création d’emplois, inclusion sociale, réduction de la pollution, etc.).
3.2. Sélectionner et impliquer les fournisseurs
  1. Critères de sélection : au-delà du prix et de la qualité, intégrer des critères liés à la capacité d’innovation, la culture RSE, la volonté de collaborer et la stabilité financière.
  2. Négociation et contractualisation : privilégier des contrats incitatifs, avec partage de la propriété intellectuelle, répartition équitable des bénéfices et clauses d’engagement réciproque (formation, partage de données, R&D).
  3. Animation de l’écosystème : créer des espaces de rencontre (hackathons, ateliers de co-création, salons d’innovation), encourager les échanges d’idées et la transparence.
3.3. Gérer et piloter les projets de co-innovation
  1. Méthodologie agile : favoriser des cycles courts d’expérimentation (proof of concept, prototypes) et un retour d’expérience rapide.
  2. Partage des risques : répartir les coûts de R&D, formaliser les règles de gouvernance du projet, définir un mode de décision collaboratif.
  3. Suivi et évaluation des progrès : mettre en place des indicateurs de performance spécifiques (avancement du projet, économies réalisées, réduction de l’empreinte carbone, satisfaction client, etc.).
  4. Communication interne et externe : valoriser les avancées, partager les succès et les enseignements, encourager la diffusion des bonnes pratiques au sein de l’entreprise et auprès d’autres fournisseurs.
4. Exemples de domaines propices à la co-innovation
  1. Éco-conception et économie circulaire
    • Développement de produits plus durables, usage de matières recyclées ou biosourcées, conception modulable pour faciliter la réparation ou le recyclage.
    • Mise en place de boucles de recyclage ou de logistique inversée (collecte et revalorisation des déchets).
  2. Digitalisation et automatisation
    • Conception d’outils digitaux pour optimiser la production, la distribution, la gestion des stocks.
    • Développement d’algorithmes prédictifs pour anticiper les pannes, réduire les délais ou optimiser les consommations d’énergie.
  3. Énergie et ressources
    • Mise en commun d’infrastructures énergétiques, cogénération, solutions de récupération de chaleur fatale.
    • Innovations dans le stockage d’énergie, la captation et le traitement d’eau, l’électrification des transports.
  4. Services et nouveaux modèles économiques
    • Passer d’un modèle de vente de produits à un modèle de service (location, maintenance, pay-per-use), favorisant la durabilité des équipements.
    • Co-développement de plateformes collaboratives entre plusieurs acteurs de la chaîne de valeur.
5. Facteurs clés de succès
  1. Implication de la direction et alignement stratégique : une véritable démarche de valeur partagée et de co-innovation doit être soutenue au plus haut niveau de l’entreprise, avec des objectifs clairs et une allocation de ressources adaptée.
  2. Confiance et transparence : la co-innovation repose sur l’échange d’informations sensibles (données de R&D, retours d’expérience). Les partenaires doivent être assurés de la confidentialité et d’une répartition équitable des gains.
  3. Organisation et compétences : former les acheteurs aux techniques de gestion de projet collaboratif, à la compréhension des enjeux RSE et aux nouvelles technologies. Les acheteurs doivent être capables d’animer des écosystèmes et de jouer un rôle de facilitateurs.
  4. Pilotage par la performance : définir des KPI (économies réalisées, taux d’adoption des nouveaux produits, impact sociétal, etc.) et mesurer régulièrement les avancées pour valoriser les résultats et ajuster la stratégie si nécessaire.
  5. Vision à long terme : la création de valeur partagée et la co-innovation nécessitent du temps et une relation de confiance sur la durée. Les gains financiers et l’impact sociétal se construisent progressivement, au fil des projets et des itérations.
6. En résumé

La valeur partagée et la co-innovation représentent deux axes majeurs pour faire évoluer la fonction Achats vers un rôle véritablement stratégique et durable. En associant leurs fournisseurs dans une démarche de création de valeur mutuelle, les entreprises peuvent :

  • Optimiser leurs coûts tout en réduisant leur impact sur l’environnement,
  • Innover plus rapidement pour répondre aux défis sociétaux et aux attentes des consommateurs,
  • Renforcer leurs relations fournisseurs en instaurant un climat de confiance et de collaboration,
  • Contribuer à une économie plus solidaire, plus circulaire et plus respectueuse des ressources.

Pour les professionnels et étudiants de la fonction Achats, cette approche demande de nouvelles compétences en gestion de projets collaboratifs, en négociation partenariale et en évaluation de l’impact sociétal. Elle ouvre également des perspectives passionnantes pour réinventer la manière dont les entreprises conçoivent leurs approvisionnements, favorisant ainsi la co-création de solutions innovantes et responsables, à la fois au service de la performance économique et du bien commun.